Combien sont-ils, ces gens au sourire en pelure,
Qui portent tout le jour la pluie au fond des yeux,
Et que je reconnais comme autant de fêlures
– Celles qu’ont abhorrées des légions de curieux ?
Sautillant maladroit, n’aimer qu’à croche-cœur,
Se perdre au fond des tasses de café, des lits
Sans amour, des alcools, ou des écrits rageurs
(On peut gagner sa vie en y perdant ses nuits),
Combattre après minuit la présence et l’absence,
Les abandons qu’on saigne encore à chaque histoire
Et la foule qu’on fuit, écorché de l’intense
De trop de ces passants qui ont trop de regards.
Se battre après minuit surtout contre soi-même,
Contre les miroirs froids que l’on traîne avec feu
Pour exhiber, rougi d’oser et pourtant blême,
Ses défauts à ceux-là qui croient y voir un jeu,
Ses blessures taillées à coup de dents parfois
Où se lit notre empreinte à ceux qui osent rire,
Quand chaque rire est croc, couteau, poison, au choix,
Enfin mortel… hélas, on ne peut que sourire.
Combien sont-ils, ceux qui brûlent d’oser l’extrême
Et qui voient chaque jour s’enfuir un peu d’audace ?
Combien, après minuit, regardant ceux qui s’aiment
Et ceux qui meurent, sont davantage de glace,
Un peu plus loin de l’enfant qui était en eux,
Un peu plus seuls toujours, un peu plus anonymes
Un peu plus lents, plus froids, un peu plus malheureux,
Ayant au fond des yeux un peu plus de l’abîme ?